Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848






Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848







Description de cette image, également commentée ci-après

Statue de la ville de Cayenne rendant hommage à Victor Schœlcher, rédacteur du Décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848.

















Présentation
Titre
Abolition de l'esclavage dans l'ensemble de l'empire colonial français
Pays
Drapeau de la France France
Type
Décret





















Adoption et entrée en vigueur
Rédacteur(s)
Victor Schœlcher
Législature
Deuxième République
Gouvernement
Jacques Charles Dupont de l'Eure
Signature
27 avril 1848

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Le deuxième décret de l'abolition de l'esclavage en France a été signé le 27 avril 1848 par le Gouvernement provisoire de la Deuxième République[2]. Il a été adopté sous l'impulsion de Victor Schœlcher. L'acte français d'abolition de l'esclavage à l'époque moderne est le résultat d'un long combat commencé avec la controverse de Valladolid en 1550, poursuivie aux Amériques et dans l'Ancien Monde, avec les Sociétés des amis des Noirs particulièrement.




Sommaire






  • 1 La première abolition de l'esclavage


    • 1.1 En France sur le territoire métropolitain


    • 1.2 Dans les colonies


    • 1.3 L'interdiction de la traite




  • 2 L'abolition repoussée sous la monarchie de Juillet


    • 2.1 Aménagement de la condition servile


    • 2.2 Les lois Mackau


      • 2.2.1 Une application aléatoire






  • 3 L'action de Victor Schœlcher


  • 4 Contenu des décrets


    • 4.1 Décret du 4 mars 1848


    • 4.2 Décret du 27 avril 1848




  • 5 L'application des décrets


    • 5.1 Dans les colonies françaises


    • 5.2 Effets sur les Français résidant dans des pays esclavagistes




  • 6 Un mouvement généralisé


  • 7 Bibliographie


  • 8 Notes et références


  • 9 Voir aussi


    • 9.1 Articles connexes







La première abolition de l'esclavage |



En France sur le territoire métropolitain |


En France, sur le royaume de France continental, l'esclavage est aboli par Louis X en 1315 via l'édit du 3 juillet 1315, qui affirme que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc » et que « par tout notre royaume les serviteurs seront amenés à franchise ». Suite à cet édit, tout esclave qui pose le pied dans le Royaume est automatiquement affranchi[3]. Malgré cet édit, Louis XIV autorise en 1671 le commerce triangulaire, permettant aux ports de Bordeaux, Nantes et La Rochelle de pratiquer le commerce d'esclave à destination des colonies[4]. Cette traite d'esclave ne remettait pas en cause le traité sur l'esclavage en métropole[3].



Dans les colonies |


Articles détaillés : Loi du 20 mai 1802 et Décret d'abolition de l'esclavage du 29 août 1793.

La première émancipation des esclaves a lieu à Saint-Domingue, le 29 août 1793 forcée par le début de la révolution haïtienne (1791-1804)[réf. souhaitée]


La loi du 4 février 1794 — 16 pluviôse an II — est le premier décret de l'abolition de l'esclavage dans l'ensemble des colonies françaises, qui est très inégalement appliqué.


La loi est abrogée par celle du 20 mai 1802[5], le Premier consul Napoléon Bonaparte ne restaure pas l'esclavage, ni à la Guyane, ni à la Guadeloupe, ni à Saint Domingue, puisque l'abolition y est déjà appliquée, mais le maintient partout où la loi du 4 février 1794 n'a pas encore été administrée, à cause de l'opposition locale aux Mascareignes : La Réunion, l'île de France — Maurice — et Rodrigues, mais aussi, à la Martinique, Tobago, Saint-Martin et Sainte-Lucie[réf. souhaitée], îles récemment restituées à la France par l'Angleterre, au traité d'Amiens du 25 mars 1802.


Suite à la révolte des esclaves de Saint-Domingue, Haïti devient le premier état à abolir officiellement l'esclavage sur son sol.



L'interdiction de la traite |


Lors du congrès de Vienne, le 8 février 1815, la traite négrière (c'est-à-dire le commerce des esclaves, l'achat et le transport d'êtres humains revendus comme esclaves dans l'empire colonial) est en théorie abolie en Angleterre, France, Autriche, Prusse, Portugal, Russie, Espagne, Suède sous la pression de l'Angleterre anti-esclavagiste (pression de la Quadruple-Alliance), pays qui proclament que « la traite répugne aux principes généraux de la morale et de l'Humanité ».


De retour de l'île d'Elbe en 1815, Napoléon décrète l'abolition de la traite des esclaves, qui aligne la France sur la décision que vient de prendre le congrès de Vienne. Mais sa décision n'est nullement humaniste puisqu'elle n'a pour seul but que de se concilier la Grande-Bretagne. Sa résolution est confirmée par le traité de Paris le 20 novembre 1815. L'ordonnance du 8 janvier 1817 signée par Louis XVIII interdit la traite des esclaves dans les colonies françaises.


Mal acceptée par les Français qui la considèrent comme « importée dans les fourgons de l'étranger »[réf. souhaitée], elle rencontre l'opposition des ports atlantiques (Bordeaux, Nantes) qui espèrent reprendre le fructueux négoce, interrompu depuis 1793 par le blocus britannique. [réf. souhaitée] Si les lois, règlements et circulaires français interdisent officiellement la traite, le ministre de la Marine de 1819 à 1821, le comte Portal, ancien armateur bordelais, et de 1824 à 1827 [Quoi ?], le comte Villèle, Premier ministre et parent de planteurs de l'Île Bourbon (La Réunion), sont volontairement très laxistes dans l'application de la législation.[réf. souhaitée]


Mais la suppression officielle de la traite ne signifie pas pour autant sa fin réelle. En effet la traite continue dans les colonies en France, en Espagne et au Portugal sous forme clandestine. Ainsi en 1820, 40 000 esclaves auraient quitté l'Afrique vers les îles du Sud des États-Unis et surtout du Brésil, qui en importait environ 20 000 par an entre 1820 et 1823 puis 10 000 environ entre 1823 et 1852. Ce commerce étant en théorie illicite le sort des esclaves s'aggrava encore. Ils étaient en effet transportés dans les pires conditions et jetés par-dessus le bord lorsque le négrier croisait un navire de guerre britannique. Mais les peuples de certains pays européens, alertés par des sociétés anti-esclavagistes comme l'Angleterre et quelques écrivains comme André-Daniel Laffon de Ladebat ou encore des associations comme le « Comité pour l'abolition de la traite des Noirs et de l'esclavage », étaient de plus en plus émus par le sort des esclaves. Divers gouvernements européens accordèrent donc aux Britanniques le droit de visite en 1831 et en 1833, ce qui leur permit d'exercer légalement la police des mers contre les négriers.



L'abolition repoussée sous la monarchie de Juillet |


En 1831, le gouvernement de Jacques Laffitte, où siègent de nombreux membres de la Société de morale chrétienne, une organisation d'oppositionnels libéraux engagés dans le combat contre la traite, fait adopter la loi du 4 mars 1831 qui vise à son abolition définitive : elle prévoit vingt à trente ans de travaux forcés pour les responsables, la réclusion pour l'équipage du navire et un engagement de sept ans dans les colonies pour les esclaves libérés lors de la prise du navire.


Voir le contexte politique de la monarchie de Juillet.



Aménagement de la condition servile |


Les modérés pensent que les esclaves doivent être « préparés à la liberté » avant de prétendre pouvoir en jouir pleinement : l'éducation et la conversion religieuse apparaissent comme des préludes à une abolition sans cesse repoussée. Après l'adoption des lois Mackau en 1845, le duc de Broglie estimait ainsi que « la loi actuelle est une loi de préparation à l'émancipation, loi qui arrivera un jour à améliorer la condition des Noirs, à les rendre dignes de la liberté »[6].



Les lois Mackau |


Article détaillé : Lois Mackau.

Les lois Mackau constituent la dernière vague législative avant l'abolition de 1848. Votées en juillet 1845, elles reprennent la logique des textes précédents, sans marquer de rupture vers l'abolition. Elles rendent obligatoire une durée minimale accordée à l'instruction des esclaves. Elles limitent à quinze le nombre de coups de fouet que les propriétaires peuvent dispenser sans avoir à recourir à une autorisation judiciaire. Les esclaves mariés mais de maîtres différents obtiennent le droit de réunion.[réf. souhaitée]


En juillet 1846, le roi Louis-Philippe Ier abolit l'esclavage dans les domaines royaux de la Martinique et de la Guadeloupe et dans l'île de Mayotte qui vient d'être acquise par la France, mais Guizot, principal ministre, n'entend pas aller plus loin[7].



Une application aléatoire |


L'application de ces différentes mesures dans les colonies est très aléatoire comme ne manquent pas de le souligner les partisans de l'abolition. Ledru-Rollin et Agénor de Gasparin s'opposent ainsi au projet de loi Mackau lors des séances de la Chambre des députés en dénonçant l'inutilité de législations successives qui restent largement inappliquées[8]. Dans les colonies, l'ouverture de nouvelles écoles s'est par exemple assortie d'une sélection des élèves par les maires qui vise manifestement à en exclure les esclaves[9].



L'action de Victor Schœlcher |


Dès 1831, après un voyage à Cuba, Schœlcher affirme dans la Revue de Paris que les esclaves sont des hommes donc sont libres de droit. En 1833, dans De l'esclavage et de la législation coloniale, il propose une libération progressive évitant les vengeances raciales et permettant aux esclaves d'acquérir l'autonomie économique et intellectuelle. Puis en 1838, participant au concours littéraire organisé par la Société de morale chrétienne, il préconise une libération immédiate sans période transitoire. À la suite de son voyage aux Antilles, en 1840-1841, il dédicace aux planteurs son ouvrage Colonies françaises, abolition immédiate de l'esclavage et propose d'interdire le sucre de canne pour le remplacer par le sucre de betterave. En avril 1847, la campagne de pétitions de la Société de morale chrétienne recueille 11 000 signatures (dont celles de trois évêques, dix-neuf vicaires généraux, plus de huit cent cinquante prêtres, près de quatre-vingt-dix présidents de consistoire ou pasteurs, six mille négociants).


À la fin de février 1848, pendant son voyage d'enquête au Sénégal, Schœlcher apprend la chute du roi Louis-Philippe. Il regagne Paris, contacte François Arago, ministre de la Marine et des Colonies, qui le nomme sous-secrétaire d'État chargé des colonies et des mesures relatives à l'esclavage. Le 4 mars 1848, le décret, qui nomme Schœlcher, président de la commission d'abolition de l'esclavage chargée de préparer l'émancipation, est signé par le gouvernement provisoire de la toute jeune République. Le 5 mars, la commission voit le jour ; elle est présidée par Schœlcher, et comprend, outre un chef de bataillon d'artillerie de marine (officier de la Légion d'honneur), futur député et ami de Schœlcher, Auguste-François Perrinon, le directeur des colonies, l'avocat à la cour de cassation Adolphe Gatine et un ouvrier horloger, Charles Jean-Baptiste Gaumont. [réf. souhaitée] La commission tient sa première réunion le 6 mars, et le 27 avril, elle propose une série de douze décrets[10] qui émancipent les esclaves (un article leur octroie le statut de citoyen, ils sont désormais appelés « nouveaux citoyens » ou « nouveaux libres ») et organisent l'avenir dans les colonies. Des ateliers nationaux sont établis dans les colonies ; on crée des ateliers de discipline pour la répression de la mendicité ainsi qu'une caisse d'épargne ; un décret agence l'impôt personnel, les taxes sur les tafias, vins et spiritueux ; un autre institue une fête du Travail dans les colonies ; un décret organise les hypothèques ; les commissaires généraux de la République sont créés et envoyés dans les colonies pour y appliquer les décrets ; la liberté de la presse est étendue aux colonies ; un décret précise les modalités du recrutement militaire, de l'inscription maritime, de la Garde nationale (extension des dispositions ayant cours en France) ; le sort des vieillards, des infirmes et des orphelins est pris en charge ; des jurys cantonaux sont créés.[réf. souhaitée]


Ainsi près de 248 500 esclaves sont libérés (plus de 87 000 en Guadeloupe, près de 74 450 en Martinique, plus de 62 000 à La Réunion[11], 12 500 en Guyane, plus de 10 000 au Sénégal d'après les demandes d'indemnisation présentées par les propriétaires).



Contenu des décrets |



Décret du 4 mars 1848 |







Décret du Gouvernement provisoire créant la Commission d’abolition de l’esclavage, 4 mars 1848

« Le gouvernement provisoire de la République,
Considérant que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves ;


Décrète :


Une commission est instituée auprès du ministre provisoire de la marine et des colonies pour préparer, dans le plus bref délai, l’acte d’émancipation immédiate dans toutes les colonies de la République.


Le ministre de la marine pourvoira à l’exécution du présent décret.
Paris le 4 mars 1848.
F. ARAGO »[12].




Décret du 27 avril 1848 |







Décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, 27 avril 1848

« Ministère de la Marine et des Colonies - Direction des Colonies

République Française

Liberté - Égalité - Fraternité


Au nom du Peuple Français


Le Gouvernement provisoire,

Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ;

Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain : « Liberté - Égalité – Fraternité » ;

Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres ;


Décrète :


Article Ier

L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. À partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront interdits.


Article 2

Le système d'engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.


Article 3

Les gouverneurs ou Commissaires généraux de la République sont chargés d'appliquer l'ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l'île de La Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte occidentale d'Afrique, à l'île Mayotte et Dépendances et en Algérie.


Article 4

Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n'auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.


Article 5

L'Assemblée Nationale règlera la quotité de l'indemnité qui devra être accordée aux colons.


Article 6

Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l'Inde seront représentées à l'Assemblée Nationale.


Article 7

Le principe ‘que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche’ est appliqué aux colonies et possessions de la République.


Article 8

À l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînerait la perte de la qualité de citoyen français.
Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s'y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays étranger, par héritage, don ou mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai à partir du jour où leur possession aura commencé.


Article 9

Le Ministre de la Marine et des Colonies et le Ministre de la Guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.


Fait à Paris, en conseil de gouvernement, le 27 avril I848.


Signé:

Les membres du Gouvernement provisoire : DUPONT (de l’Eure), LAMARTINE, CRÉMIEUX, GARNIER-PAGÈS, A. MARRAST, Louis BLANC, ALBERT, FLOCON, LEDRU-ROLLIN, ARAGO, MARIE.

Le Secrétaire général du Gouvernement provisoire : PAGNERRE »[12].




L'application des décrets |



Dans les colonies françaises |




1850 - Daguerreotype représentant la cérémonie religieuse pour l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage de 1848 à la Martinique.




Décret du gouvernement provisoire sur l'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies datant du 27 avril 1848. Archives nationales BB-30-1125-A-296.


La nouvelle que la République abolit l'esclavage (décision du gouvernement provisoire du 4 mars) parvient quelques semaines plus tard dans les colonies américaines et y provoque une profonde émotion. Aussi quand les décrets du 24 avril y parviennent la situation est explosive. Les décrets prévoient deux mois de délai mais les évènements précipitent les décisions. Le 23 mai, en Martinique, à la suite de désordres liés à la connaissance des décisions parisiennes, les autorités de Saint-Pierre et Fort-Royal, abolissent l'esclavage. Le 27 mai, alors que la situation est plus calme, le gouverneur de la Guadeloupe proclame l'abolition générale. Fin mai, l'île de La Réunion est enfin mise au courant, mais le gouverneur attend le 20 décembre pour appliquer les décrets. Ce n'est que le 10 juin que le gouverneur de la Guyane prend la même décision (avec effets au 10 août).


La situation est plus délicate en Algérie et au Sénégal, car une partie des esclaves appartiennent aux indigènes. En Algérie, le décret est mal appliqué dans les campagnes. Au Sénégal pour ne pas mécontenter les Maures qui sont esclavagistes, mais qui assurent le ravitaillement de la colonie, le gouverneur demande aux autorités locales de refouler les esclaves qui rechercheraient asile dans les colonies françaises.


Une loi votée le 30 avril 1849 indemnise les planteurs et les colons. Ceux-ci reçoivent environ six millions de francs pour dédommagement de la libération de près de leurs 248 500 esclaves.


De 1848 à 1870, les décrets d'abolition sont mal appliqués ou amendés : les cadres de l'esclavage sont reconstruits par les autorités locales qui proclament des arrêtés de « police du travail », imposant notamment des passeports intérieurs[13].


Au total, entre les premières installations de colons au XVIe siècle et le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848, soit deux siècles, environ quatre millions d’esclaves (2 millions nés en Afrique et 2 millions nés dans les colonies) ont vécu dans les territoires sous domination française[14].



Effets sur les Français résidant dans des pays esclavagistes |


L'article 8 du décret de 1848 interdit à tout Français la possession ou le trafic d'esclave, sous peine de « la perte de la qualité de citoyen français » ; ceux qui se trouvent en infraction au moment de la promulgation, ou qui y entreraient ensuite « par héritage, don ou mariage », ont un délai de trois ans pour s'y conformer. Par ces dispositions, le bannissement de l'esclavage est étendu, au-delà du territoire de la France, à tous ses ressortissants qui résident dans des pays où il est encore légal : ils sont alors environ 20 000, répartis entre le Brésil, Cuba, Puerto-Rico et le Sud des États-Unis, dont approximativement une moitié de propriétaires d'esclaves. Sur ces quelque 10 000 Français directement visés par l'article, 5 à 6 000 se concentrent en Louisiane[15].


L'objet de l'article et la nature de la peine — la perte de la nationalité, au lieu de la simple amende prévue par la législation anglaise de 1843 — traduisent les principes abolitionnistes qui animent les gouvernants républicains de 1848 : en faisant de tout Français établi à l'étranger « une protestation vivante, permanente, contre l'esclavage », selon les termes de Victor Schœlcher, leur volonté est de promouvoir la cause de l'abolition et d'inciter les sociétés esclavagistes à suivre l'exemple donné, en particulier aux États-Unis[16].


C'est en Louisiane que l'article 8 suscite les plaintes les plus vives. Dès juillet 1848, le consul à La Nouvelle-Orléans avertit que les résidents français se feraient naturaliser Américains s'il était maintenu, et appelle à son abrogation. Si les fondateurs de la IIe République refusent tout compromis, à partir de 1849, des gouvernants moins intransigeants se montrent plus réceptifs aux arguments contraires[17].


Le décret du 25 avril 1848 a accordé aux Français résidant à l'étranger possesseurs d'esclaves un délai de 3 ans pour se défaire de cette propriété. Ce délai a été prorogé par une loi du 11 février 1851, à l'approche de l'expiration du délai de 3 ans, un amendement soutenu par le gouvernement le porte à 10 ans, et a expiré le 27 avril 1858[18]. Cependant ce report est insuffisant pour les Français propriétaires d'esclaves à l'étranger, qui ne peuvent se satisfaire de se retrouver dans la même situation sept ans plus tard. En Louisiane, le consul fait état d'une nouvelle loi locale qui rend financièrement impraticable la libération des esclaves, en imposant à leur propriétaire de les faire transporter à ses frais au Liberia ; ses positions rencontrent auprès des ministres français concernés un accueil favorable[19].


Cependant l'arrivée du Second Empire donne aux gouvernants d'autres priorités, et aucune mesure n'est prise avant l'approche de l'expiration du délai prolongé. En 1858, la loi du 28 mai, sans abroger l'article 8, y introduit des exceptions : elle en exempte les Français propriétaires d'esclaves avant 1848, ou par suite de mariage, héritage ou don. En pratique, ces dispositions vident largement l'article de son effet, grâce notamment au vague de la notion de don. De fait, les propriétaires d'esclaves en Louisiane qui conservaient encore leur nationalité française purent les garder jusqu'à l'abolition de l'esclavage à la suite de la guerre de Sécession[20].



Un mouvement généralisé |


À la même époque, un grand nombre d'États pratiquant la traite et l'esclavage, décident de les abolir. Les États-Unis dans leur constitution de 1787, interdisent la traite, décision appliquée à partir de 1807, en revanche l'esclavage est maintenu. Le Royaume-Uni est à la pointe du combat abolitionniste. Le 6 février 1807, une loi fixe la limite de la traite pour le 1er janvier 1809. Le 15 août 1833, les Britanniques abolissent l'esclavage (avec effet au 1er août 1834). En 1835, au cours des troubles métropolitains qui suivent la mort de Ferdinand VII, le gouvernement libéral espagnol abolit la traite dans les colonies de la couronne. L'année suivante, le Portugal en fait de même, mais l'application est peu suivie et le décret n'est même pas publié au Mozambique (qui fait partie de la zone où se pratique la traite en direction des pays de l'océan Indien et du golfe Persique). Le 3 décembre 1837, par son bref pontifical In suprema apostolatus fastigio, le pape Grégoire XVI condamne la traite et l'esclavage.


Le 28 juillet 1847, le Danemark, qui avait interdit la traite dès 1802, abolit l'esclavage dans ses colonies des Antilles mais prévoit un délai de 12 ans, cependant dès l'année suivante il accorde la liberté immédiate (3 juillet 1848). En 1850, le Brésil réprime la traite. À partir de 1854, le Portugal libère progressivement les esclaves de ses possessions. En 1856, ce sont ceux des municipalités, des établissements charitables de l'ordre de la Miséricorde puis ceux des églises. Le 5 juillet 1856, les esclaves d'Angola sont libres et le 25, août 1856, ce sont ceux des Indes portugaises qui obtiennent leur liberté. Ce n'est que le 1er janvier 1860 que les Pays-Bas suppriment l'esclavage en Malaisie; en revanche les Antilles et la Guyane néerlandaise devront attendre 1863. Le 1er janvier 1863, le président américain Abraham Lincoln signe le décret qui libère les esclaves des États du Sud des États-Unis, au milieu de la guerre de Sécession (1861-1865), mais la loi ne sera votée que le 8 avril 1864 à la Chambre des représentants, le 31 janvier 1865 par le Sénat et ce ne sera que le 18 décembre 1865, que les trois quarts des États alors constitués l'ont ratifiée. Le Brésil a été le dernier pays du continent américain à avoir aboli l'esclavage : seulement en 1888 par la « Lei Áurea » (la loi d'or), et sans compensation pour les propriétaires. Le dernier pays du monde qui a aboli l'esclavage est la Mauritanie en 1981.



Bibliographie |




  • Louis Blanc, De l'abolition de l'esclavage aux colonies, dans Revue du progrès politique, social et littéraire, Paris, 1840, tome 1er, p. 3-17 [lire en ligne].

  • 1847 : Thomas-Marie-Adolphe Jollivet, Des pétitions demandant l'émancipation immédiate des noirs dans les colonies françaises, Paris, Imprimerie de Guiraudet et Jouaust, 1847 et 2013, 64  p. (notice BnF no FRBNF30657163, lire en ligne)Voir et modifier les données sur Wikidata.

  • 1848 : Société orientale de France et Charles Lavollée, « Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises. Des mesures à prendre pour l'émancipation », Revue de l'Orient (Paris), 1848, Just Rouvier (d),‎ 1848(notice BnF no FRBNF32857437, lire en ligne)Voir et modifier les données sur Wikidata.

  • Les différents ouvrages de Victor Schœlcher[21],[22].


  • Janine Alexandre-Debray, Victor Schœlcher. L'homme qui a fait abolir l'esclavage, Paris, Perrin, 2006.


  • Lawrence C. Jennings, « L'abolition de l'esclavage par la IIe République et ses effets en Louisiane (1848-1858) », Revue française d'histoire d'outre-mer, vol. 56, no 205,‎ 1969, p. 375-397 (lire en ligne).

  • Nelly Schmidt, « 1848 dans les colonies françaises des Caraïbes. Ambitions républicaines et ordre colonial », dans Outre-Mers. Revue d'histoire, 1998, no 320, p. 33-69 [lire en ligne].


  • (en) Laurence C. Jennings, French anti-slavery. The movement for the abolition of slavery in France, 1802-1848, Cambridge University Press, 2000.

  • Nelly Schmidt, Abolitionnistes de l'esclavage et réformateurs des colonies. Analyse et documents, Paris, Karthala, 2000.

  • Nelly Schmidt, L'abolition de l'esclavage. Cinq siècles de combats (XVIe siècle-XXe siècle), Paris, Fayard, 2005.


  • Françoise Vergès, Abolir l'esclavage. Une utopie coloniale. Les ambiguïtés d'une politique humanitaire, Paris, Albin Michel, 2001.

  • Lawrence C. Jennings, La France et l'abolition de l'esclavage 1802-1848, éditions André Versaille, 2010.

  • Rodolf Étienne, Lalibèté ka vini ! – Décrets d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848 / Dékré labolisyon lesklavaj 27 avril 1848, éditions SCITEP, 2018.


  • Jean-Pierre Sainton, « De l'état d'esclave à « l'état de citoyen » : modalités du passage de l'esclavage à la citoyenneté aux Antilles françaises sous la Seconde République (1848-1850) », Outre-Mers. Revue d'histoire , t. 90, nos 338-339 « L'État et les pratiques administratives en situation coloniale »,‎ 1er semestre 2003, p. 47-82 (lire en ligne).



Notes et références |




  1. Entre 1802 et 1848, le décret du 29 mars 1815 marque l'abolition de la traite à l’initiative de l'empereur Napoléon Ier.


  2. Site de l'Assemblée nationale.


  3. a et b« Louis X le Hutin interdit l'esclavage en France », sur Herodote, herodote.net (consulté le 24 avril 2018).


  4. « Louis XIV roi négrier », sur Une autre histoire, une-autre-histoire.org, 2013(consulté le 24 avril 2018).


  5. Loi du 30 floréal an X, relative à la traite des nègres et au régime des colonies.


  6. Cité dans Nelly Schmidt, op. cit., p. 159.


  7. Jean martin, « L'affranchissement des esclaves de Mayotte, décembre 1846-juillet 1847. », Cahiers d'études africaines, 1976(consulté le 24 avril 2018).


  8. Nelly Schmidt, op. cit., p. 223.


  9. Ibid.


  10. Nelly Schmidt, Abolitionnistes de l'esclavage et réformateurs des colonies : 1820-1851, Analyse et documents, pp. 330 et 331.


  11. Sudel Fuma, Esclaves et citoyens, le destin de 62 000 Réunionnais : Histoire de l'insertion des affranchis de 1848 dans la société réunionnaise, Documents et recherches, Fondation pour la recherche et le développement dans l'océan Indien : Saint-Denis, 1982.


  12. a et bSénat français, « Victor Schœlcher (1804-1893) • Une vie, un siècle • L'esclavage d'hier à aujourd'hui », consulté le 20/09/2016.


  13. Oruno D. Lara, La Liberté assassinée : Guadeloupe, Guyane, Martinique et la Réunion en 1848-1856, Éd. L'Harmattan, 2005.


  14. Frédéric Regent, La France et ses esclaves, Pluriel, 2012, p. 9.


  15. Jennings 1969, p. 377-378.


  16. Jennings 1969, p. 379-382.


  17. Jennings 1969, p. 383-387.


  18. « De la possession des esclaves par des Français résidant à l'étranger », dans Revue coloniale, juillet-décembre 1858, tome 20, p. 249-255 [lire en ligne].


  19. Jennings 1969, p. 388-391.


  20. Jennings 1969, p. 392-395.


  21. Victor Schoelcher, Esclavage et colonisation, Paris, PUF, 2018, 220 p. (ISBN 978-2-13-079904-7)


  22. Victor Schoelcher, Des colonies françaises : abolition immédiate de l'esclavage, Paris, Éd. du CTHS, 1998, 443 p. (ISBN 2-7355-0382-8)



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